Reprenant à la base la question de l'origine et de la signification des microtoponymes BELUSE et GOURLE, cette étude reprend à rebours la démarche, non convaincante, des linguistes : l'enquête part ici du terrain et de la cartographie, dans une petite région bien définie, pour aboutir, par l'intermédiaire de lectures géologiques, à des corrélations porteuses de sens. Cette démarche a permis, dans le cas des BELUSE, de remplacer une hypothétique étymologie gauloise par une étymologie latine conforme à la signification déduite du terrain.
Gilles VALENTIN-SMITH, mars 2021
Toute la toponymie est occupée par la linguistique.
Toute ?
Non.
Il reste encore un réduit que les spécialistes de la langue n'arrivent pas à percer. Il s'agit de certains microtoponymes dont la dénomination a été définie en rapport avec les caractéristiques propres du terrain.
Entendons-nous sur le terme "microtoponyme" : il s'agit du nom (ou de l'expression) utilisé pour désigner sur le cadastre un ensemble de parcelles. Il ne s'agit donc pas de toponymes habités.
Un nom de lieu-dit permet aux usagers, indépendamment des limites parcellaires qui peuvent fluctuer dans le temps, de donner des repères. Ces repères formaient une carte mentale utile pour se repérer.
Je parle ici de "carte mentale", car l'existence des cartes telles que nous les connaissons, et qui nous semblent des évidences, sont récentes : elles ne remontent qu'au 18e siècle.
Parmi les différentes possibilités qui s'offrent pour dénommer une terre (telle histoire, la présence de tel élément de repère, tel mode de faire valoir, telle forme de relief, telle végétation spontanée, etc), il existe bien évidemment les qualités, défauts ou éléments remarquables intrinsèquement liés au sol.
Il eut été souhaitable qu'une collaboration entre linguistes et spécialistes du milieu naturel amenât les premiers à admettre leurs limites en termes de connaissances de bases ainsi qu'en maîtrise des outils d'analyse pour appréhender le milieu naturel.
Cela aurait permis d'appuyer l'argumentaire linguistique. Prenons un exemple, qui sera développé plus loin (voir l'onglet "Cray") :
Dans son texte "Sur deux appellatifs topographiques occitans des lieux rocailleux : Gres et Crès" (1), l'auteur se pose la question, légitime, de savoir si ces deux formes véhiculent des significations différentes, ou s'il ne s'agit que d'une variation dans la graphie ou dans la diction de la consonne de début de mot.
L'étude linguistique est érudite, complète et fouillée. Mais elle ne reste que bibliographique. Il aurait été souhaitable de faire dialoguer le linguiste et le naturaliste : Crès et Grès sont des distinctions sémantiques que le naturaliste opère quasiment par réflexe : le premier terme est souvent relatif aux calcaires, et le deuxième est la dénomination actuelle d'une roche non calcaire. Le terme géologique actuel "grès" recouvre simultanément deux concepts : roche siliceuse (donc à l'opposé du calcaire) et roche grenue (composée d'une agglomération de particules, ici des sables). Le naturaliste sait que les sols sur grès (au sens actuel du terme) sont souvent impropres à l'agriculture, ce qui n'est pas le cas des sols sur calcaire, sauf s'ils sont squelettiques. Il aurait donc été passionnant de savoir si la répartition des toponymes gres et crès pouvait être corrélée avec la dichotomie grès-calcaire qui saute aux yeux du naturaliste, du géologue ou de l'agronome, ou encore avec la nature grenue de la roche ou de la pierrosité de surface. Il est regrettable qu'une telle étude ne soit accompagnée d'aucune carte de répartition.