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AUBUES

Le constat

Le microtoponyme {AUBUES} est extrêmement courant dans une partie bien délimitée de la Côte d'Or, un peu moins dans l'Yonne, et avec une densité moindre dans la Nièvre.

Il s'agit d'un toponyme typiquement bourguignon, mais il n'est pas à exclure un rapprochement à faire avec les Aubus, Aubuis, Aubuges, Aubugo, etc qu'on trouve dans d'autres régions de France.

En ce qui concerne la Bourgogne, voici ce qu'on peut lire :

Dans le PÉGORIER (ouvrage déjà cité) :

Aubue pe gorier

Pour Gérard TAVERDET (ouvrage déjà cité) :

"Type d'origine gauloise  °ALBUCA, les "Aubues" sont des terres de couleur claire, surtout dans les zones argilo-calcaires. Le nom a été attiré par plusieurs fausses étymologies :

  • Eaux-Bues : ces terres argileuses, peu perméables, conservent souvent la trace des pluies.
  • Obus : on explique parfois que ces terres contiennent des fossiles (rostres de bélemnites*) que l'on peut comparer à des "obus".

* rostre de bélemnite : cliquez ici.

Il existe donc une certaine confusion : s'agit-il de couleur ou de teneur en argile ?

En ce qui concerne l'expression "aubues rouges formées surtout de marnes calcaires" : j'ai effectivement visité des {AUBUES} à terre rouge, mais il ne s'agit pas de marnes calcaires : il s'agit de terres argilo-limoneuses de plateau.

Je ne suis tombé qu'une seule fois sur un {AUBUES} dont la terre est "humide et fraîche, difficile à labourer". Il en existe certainement d'autres, mais on ne peut en faire un caractère ni déterminant, ni majoritaire.

Je n'ai rencontré qu'une seule fois un {AUBUES} dont la terre est "de couleur claire" ; il s'agit d'une parcelle exceptionnelle par sa blancheur, que je n'ai rencontrée nulle part ailleurs avec le nom {AUBUES} sur les centaines de km2 parcourus. Il s'agit d'une terre de plateau, totalement non fossilifère. Il est vraisemblable qu'ici la racine °ALB puisse être évoquée, mais il n'est pas nécessaire de faire remonter l'origine aux gaulois ; il est tout à fait envisageable que dans une période plus récente, le sens premier de aubue n'étant déjà plus compris, quelqu'un ait emprunté la racine AUB- pour évoquer la blancheur, cette racine étant déjà bien présente en français (aube, aubépin(e), aubier). À noter que cette terre est totalement à l'opposé d'être "humide et fraiche, difficile à labourer" :

Montceau et echarnant

Il s'agit en gros des mêmes constatations que celles faites pour les {BELUSE} : les tentatives d'explications par la langue se heurtent à la réalité du terrain.

 

Aubues dracy les couches 1

Les Aubues, Dracy-sur-Couches, nord de la Saône-et-Loire : il s'agit d'un plateau calcaire ; la terre n'est pas particulièrement argileuse, ni claire ni rouge, jamais engorgée, et bien séchante. C'est une bonne terre à céréale.

 

Les graphies retenues

Les noms de lieux-dits de la famille étant presque tous au pluriel, j'ai adopté l'écriture {AUBUES} avec un S final. Les formes repérées, hormis le type Les Aubues, sont : Les Obus, Les Obues, Les Eaux-Bues, Les Heaubues (une seule fois), Les Aubuottes, Les Aubuts, Les Aubuses. Notons la forme particulière (commune d'Epertully, S&L) Les Lobuses (1810), qu'il est possible d'interpréter comme une forme intermédiaire entre Beluse et Aubue. En 1844, ce même lieu-dit est nommé les Aubus.

L'IGN a systématiquement conservé la graphie Aubue(s), qui existait dès le 13e siècle (capitulaire d'Autun, 1294).

Je ne m'avancerai pas sur la question de savoir s'il faut considérer la famille des {HERBUES} comme étant une variante de {AUBUES}. Une limite géographique franche sépare ces deux types. Nous verrons plus loin ("Pistes de travail") que cette limite est autant géographique qu'historique.

 

Cartographie

La zone à {AUBUES} correspond, tant du point de vue géographique que géologique, à la dépression péri-morvandelle :

De pression pe ri morvandelle cadre

Extrait de la carte géologique du BRGM au 1/1 000 000  (les repères correspondent aux {AUBUES}) :

Ge ol aubues

 

La notice de la carte géologique au 1/50 000 de Pouilly-en-Auxois donne les informations suivantes quant à la grande richesse en fossiles de cette dépression péri-morvandelle :

  • Couche L-2 : contient la "lumachelle de Bourgogne" très caractéristique. Il s'agit d'un calcaire marneux gris clair pétri de coquilles de lamellibranches couchées dans le sens de la stratification.
  • Couche L-3 (sinémurien) : calcaires à gryphées, où abondent également beaucoup d'autres fossiles.
  • Couche L-4 : contient le niveau du carixien, "richement fossilifère et qui se repère facilement dans les champs où les fossiles sont dégagés."
  • Couche L-5-6 : "Les niveaux fossilifères se rencontrent à la base de la série" (suit une longue liste de noms latins d'espèces fossiles).

Lorsqu'on "zoome" un peu plus sur la carte géologique, voici le résultat :

Aubues que dans les bas

Le caractère discriminant qui est observable est l'absence des {AUBUES} de la couche géologique notée ici de couleur ocre-jaune, qui correspond aux plateaux (calcaires du bajocien). Le calcaire bajocien ne contient pas de macro-faune fossile facile à observer. On s'en rendra facilement compte en regardant les maisons en pierre sèche, car ce sont essentiellement les calcaires du bajocien qui ont servi de matériaux de construction.

Les {AUBUES} se trouvent dans la cuvette, mais sans qu'il y ait de situation topographique privilégiée : on en trouve aussi bien en hauts de pente qu'en bas, autant sur les versants que dans la plaine.

Ils sont présents tant sur argilo-marneux que sur calcaire sinémurien, tous terrains notés comme fossilifères dans la notice de la carte géologique.

 

Enquête de terrain

L'enquête de terrain fut une œuvre de longue haleine, car la région est éloignée de chez moi.

Voir ici une partie des résultats fournis par la visite des {AUBUES} à partir du sud. Comme pour les {BELUSE}, la présence de fossiles est immédiatement repérable sur le terrain.

 

Il ne peut s'agir d'une simple coïncidence : la prospection systématique des lieux-dits {AUBUES} m'a par exemple fait découvrir deux sites fossilifères majeurs, d'une étendue de quelques ares seulement : 21-Nolay-est (ammonites et bélemnites surtout), Ougy, commune de 71-Malay (gastéropodes bivalves et brachiopodes surtout).

Aubues nolay est

Les Aubues, Nolay-est

Les obues ougy bivalves
Les obues ougy brachiopodes

Les Obues, Ougy

"Petits musées populaires des Aubues"

 

 

 

 

Dans la rue principale de Mazenay, commune de Saint-Sernin-du Plain (71),

à 200 m du lieu-dit Les Aubues

Dscf1083

 

 

 

 

Ci-contre et ci-dessous,

Commune de Veilly (21),

sur le lieu-dit Les Aubues

Dscf1137

Dscf1140
Dscf1145

Etymologie

L'étymologie que j'ai trouvée est, je l'admets bien volontiers, un peu "tirée par les cheveux" :

Il est envisageable que, vu qu'elle est très courante sur l'ensemble de la zone, la gryphée ait donné son nom à l'ensemble des fossiles trouvés dans les champs. Avec cette hypothèse, l'origine de aubue pourrait être la suivante : uncus signifie "crochet" en latin. OBUNCUS signifie : "qui possède un crochet, crochu, en forme de crochet".

C'est une bonne définition pour la gryphée : Gryphe e obuncus

Cette origine a l'avantage d'être latine, ce qui est toujours préférable à une origine gauloise.

Pistes de travail

N'étant ni linguiste ni historien, je ne ferai ici que rapporter une coïncidence intéressante, sans chercher à creuser plus loin la question : au nord-est, les {AUBUES} cessent d'exister, selon une ligne nette et franche, qui va, en gros, du sud de Dijon à Auxerre. Cette "frontière" (outre que, selon Gérard TAVERDET, il s'agit d'une limite linguistique entre deux formes d'une même réalité, Aubue et  Herbue), suit globalement la frontière du pays des Eduens, qui avaient leur capitale dans le Morvan. Cette frontière a longtemps été conservée en tant que limite du diocèse d'Autun (anciennement ecclesia æduensis) :

Carte aubues 1

 

Carte e duens

(fonds cartographiques : IGN-Géoportail)

 

D'autre part, et les deux faits sont peut-être liés, cette limite sépare également le bas pays (dépression péri-morvandelle) des plateaux de la haute Bourgogne.