Créer un site internet

CRAS, CRAY …

Le type {CRA} recouvre les appellatifs Cras, Cray (ces deux formes étant largement majoritaires) ainsi que les variantes Crès, Crets, Cré, Craie, Craa ….

La certitude absolue n'existe pas en toponymie, mais la présomption est très forte que Cra(s) et Cray soient bien des variantes qui recouvrent la même signification. En effet :

  • la confusion entre les sons [a] et [è] est un classique dans l'évolution de nombreuses langues. Voir par exemple l'accent parisien du 20e siècle (celui de Bernard Blier dans "Les tontons flingueurs"). Voir également la prononciation de la lettre A en anglais, ainsi que l'évolution du son [a] pur en arabe classique vers le son  [è] en arabe du Maghreb.
  • le même lieu-dit cadastral voit souvent sa graphie se modifier selon le contexte : un même lieu-dit peut être nommé Cras sur la matrice du cadastre et Cray sur le plan, ou inversement.
  • la répartition spatiale des Cras et des Cray est identique et apparait sur une carte comme intimement mélangée et interchangeable

{CRA} est un des microtoponymes les plus courants en Bourgogne. Sa répartition peut être étudiée finement grâce aux relevés établis commune par commune par le linguiste Gérard Taverdet ("Microtoponymie de la Bourgogne"). On relève plus de 500 lieux-dits {CRA} sur les quatre départements qui constituent la Bourgogne (Côte d'Or, Saône-et-Loire, Nièvre, Yonne).

 

Selon Gérard Taverdet, Cras, Cray et Craie (et leurs variantes plus rares) recouvrent la même signification : "Plateau élevé et pierreux". Il les fait dériver d'un celtique CRACOS ou CRACA (selon distinctions masculin / féminin ou singulier / pluriel).

 

Il est intéressant de constater que le linguiste ne relie pas le terme {CRA} au français craie, au sens de "roche blanche calcaire très tendre qui sert notamment à écrire sur une ardoise". Le français craie vient du latin creta.

 

 

 

L'utilisation de Géoportail permet de repérer cartographiquement les {CRA} cadastraux qui ont été repris par l'IGN sur la carte topographique au 1/25 000. Pour ceux qui n'ont pas été conservés par l'IGN, il est possible de baliser les communes qui portent les {CRA}.

Une fois les {CRA} positionnés sur carte topographique, un simple changement de fond de carte permet de positionner ces mêmes points sur carte géologique.

 

Les résultats de cette recherche cartographique sont les suivants :

1- En ce qui concerne la situation des {CRA} sur un "plateau élevé" : il s'agit d'une minorité des lieux-dits repérés. Le plus souvent, lorsqu'un relief élevé existe sur une commune, le ou les {CRA} de cette commune sont sur la pente, voire parfois presque en fond de vallée. On s'en rendra compte sur quelques exemples (extraits de la carte topographique de l'IGN, Géoportail) :

Les 9 premiers extraits sont situés en Côte d'Or, les 9 suivants en Saône-et-Loire.

Crais a censerey cultures sur l 3
Cras a braux cultures sur l 3
Cras a colombier cultures
La cras a bouilland cultures
Les cras a agey cultures
Les cras a antheuil
Les cras a beaune
Les cras a boussenois cultures
Les cras a vougeot
Bissy sous ux
Cluny
Donzy le nal cultures
Givry
Ige
Jalogny
La vineuse
St maurice des ch
Ste he le ne

2- En ce qui concerne la pierrosité de surface : il est évidemment impensable de faire une visite de terrain de tous les lieux-dits {CRA}, mais il ne semble pas que ceux-ci soient particulièrement pierreux. La certitude, encore une fois, est impossible, mais :

  • les {CRA} que je connais autour de chez moi (Côte chalonnaise, Saône-et-Loire) sont peu pierreux, et sont tous cultivés, sans qu'apparaissent autour des parcelles, d'accumulation due à l'épierrage,
  • les photos aériennes des lieux-dits {CRA} dans toute la Bourgogne montrent en grande majorité soit des terres à céréales de couleur marron (donc à faible pierrosité), soit des vignes ; il n'est pas raisonnable de penser que toutes les terres à céréales aient bénéficié du passage d'un broyeur à cailloux.

 

3- La répartition topographique et géologique des {CRA} en Bourgogne nous donne les informations suivantes : 

Positionnement topographique des {CRA} (Géoportail de l'IGN) :

 

Cra en bourgogne

Positionnement sur fond de carte géologique (Géoportail de l'IGN) :

 

Re partition cray ge ologique faible

À part un {CRA} situé en plein cœur du Morvan, et 4 lieux-dits {CRA} situés en Bresse, nous constatons une adéquation quasi parfaite entre présence de calcaire et existence des {CRA}. Les pays granitiques (dominante rouge sur la carte géologique) que sont le Morvan (au milieu) et le charollais granitique (plus au sud) ne possèdent pas de {CRA}. Ceux-ci sont situés sur les terrains calcaires qui entourent le Morvan.

Un "zoom" sur la zone de contact granite ("roches cristallines") / calcaire, au nord-est du Morvan est parlante : 

 

Carte ge ol cra sur calcaires

Les {CRA} se trouvent sur tous types de calcaires : calcaires blancs se rapprochant de l'aspect de la craie, calcaires gris, calcaires ocres ; calcaires tendres et friables, calcaires moyennement durs en plaquettes, calcaires très durs se présentant sous forme de blocs de plus de 20 cm.

 

Il nous faut donc admettre que l'apppellatif {CRA} permet de mettre en évidence l'existence de roche calcaire.

Mais comme il est impensable que le nom de {CRA} signifie simplement "calcaire", cela nous amène évidemment à nous poser certaines questions :

Qu'ont en commun tous les calcaires ? La distinction calcaire / non calcaire était-elle connue des anciens ? Si une paroisse est située sur calcaire, pourquoi, y aurait-on nommé-on un certain lieu-dit {CRA} pour le distinguer d'une autre ?

La seule réponse que j'ai trouvée est la suivante :

Sont appelées "calcaires" des roches sédimentaires constituées essentiellement de carbonate de calcium. Actuellement, pour distinguer une pierre calcaire, nous faisons le test à l'acide : une goutte d'acide chlorhydrique sur du calcaire provoque une effervescence due à un dégagement de gaz carbonique (dioxyde de carbone). Les anciens n'avaient pas accès à cette propriété ; ceci dit, il existe une autre propriété des calcaires qui, elle, était connue des anciens : les roches carbonatées perdent leur gaz carbonique par chauffage à plus de 900° ; il s'agit de la calcination qui permet de transformer le calcaire en chaux : CaCO3 —> CaO + CO2

Les romains connaissaient la chaux, qui permettait la fabrication de mortier pour la maçonnerie.

Je soumets donc ici l'hypothèse suivante : le nom de {CRA} pourrait avoir été utilisé pour marquer la présence d'un four à chaux.

Est-il envisageable que des sortes de calcaire très différentes aient pu avoir été utilisées pour fabriquer de la chaux ? Oui, on s'en convaincra en lisant l'article suivant : cliquez ici. Nous avons notamment en Bourgogne des calcaires contenant des proportions très variables en silice. C'est cette silice qui donne cette dureté toute particulière que possède le calcaire gris à gryphées. Il est tout à fait normal que des calcaires différents aient été utilisés pour des usages différents de la chaux : badigeon, mortier à prise lente, mortier à prise rapide …