Le microtoponyme BELUSE

Un toponyme qui marque les esprits

Peu de microtoponymes sont aussi ancrés dans l'imaginaire villageois. Qu'on s'en rende compte par ces nombreuses mentions écrites, répérées en côtes chalonnaise et mâconnaise :

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Panneau 1
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Panneau 2

Le constat

Le grand linguiste Gérard TAVERDET, spécialiste de la Bourgogne, et fin connaisseur de la Saône-et-Loire (toponymie, patois) a buté sur le microtoponyme {BELUSE} :

"Il s'agit manifestement d'un terme d'origine celtique qui a désigné les terrains argilo-calcaires de couleur claire ; il est facile d'y reconnaître la racine °BEL— qui indique l'idée de clarté ; d'après les formes locales, nous pouvons reconstituer un étymon °BELUSIA." (5).

La notion de "terrain argilo-calcaire" étant toute relative (en Saône-et-Loire, tout sol sur calcaire est argilo-calcaire), l'auteur met en avant la notion de clarté.

Voici ce qu'en dit l'IGN (6) :

Capture d e cran 2021 02 13 a 11 31 36 1

Je ne m'en tiendrai qu'aux hypothèses qui concernent la région que je connais bien, la Bourgogne. Il semblerait en effet que la racine BELUS- soit présente un peu partout en France, mais qu'elle recouvre des notions différentes. Les différentes significations données se réfèrent toutes à des qualités intrinsèques (sol …).

  1. En pays calcaire, et c'est bien le cas pour les côtes chalonnaise et mâconnaise, la couleur majoritaire des sols, lorsqu'ils ne sont pas bruns comme tout sol ordinaire qui se respecte, est le ROUGE.
  2. Il existe en côte chalonnaise, mais ils sont très rares, des sols argileux très clairs. Ce sont des zones où les marnes grises  de l'argovien (base du jurassique supérieur) affleurent. Ce sont des terres impropres à la culture, engorgées en hiver et dures comme du béton en été.
  3. Il existe en Saône-et-Loire des sols de couleur claire ; ils se situent en plaine, à l'est des côtes calcaires, c'est à dire là où disparait le toponyme {BELUSE}.

Qu'en est-il des {BELUSE} ?

  • Les visites de terrain montrent qu'aucune corrélation ne peut être mise en évidence quant à la couleur du sol ; c'est un caractère non discriminant.
  • Les {BELUSE} peuvent porter des sols très rouges, comme on s'en rendra compte sur la photo ci-dessous (les Bouloises, commune de Givry) :

Les bouloises 1

  • La comparaison avec les "terres noires" n'a pas de sens autour de chez moi : il n'en existe pas.
  • La grande majorité des {BELUSE} que j'ai visités porte des sols dont la couleur est ordinaire, pas particulièrement jaune, et jamais claire.
  • Qu'en est-il de la teneur en argile ? Loin d'être des sols très argileux ce sont souvent, lorsqu'ils sont cultivés, des sols limoneux, faciles à travailler, dont les billons de labour ne nécessitent pas de fragmentation par le gel, bien drainants … bref, ce sont de bonnes terres à céréales.

Les graphies retenues

Voici les formes que j'ai retenues comme étant susceptibles d'entrer dans le type {BELUSE}, et donc que j'ai visitées et cartographiées :

  • Celles qui sont évidentes, et largement majoritaires : Beluse, Beluze, Beloze, Belouse, Belouze, Boulouse1, Boulouze, Blouze, Bluse, Baluse, Balouze
  • Celles qui ne peuvent être écartées a priori : Peluse, Pelouse, Paluze, Bouloise, Boulloies (j'ai retenu ce dernier lieu-dit car juste à côté de Bouloise), Lobuses2.
  • Une forme sujette à caution, mais que j'ai retenue : La terre Palouse.
  • La métathèse (inversion de consonnes) suivante est sujette à caution. Du fait de l'existence de deux lieux-dits très proches l'un de l'autre, Les Grandes Belouzes et En Bezoule3, j'ai estimé que trois lieux-dits pouvaient faire partie de la série : En Bezoule, La Bouzolle (commune d'Azé), Boujolle (nom de hameau, orthographié Bouzolles en 1129).
  • Je n'ai pas retenu les formes suivantes : Blues, Bloyes (mais ce sont les deux seules occurrences).

1  L'interversion des sons [e] et [ou] en première syllabe est attestée sur d'autres microtoponymes de la petite région : mont Bezu —> mont Bouzu ; mont Pejus, même étymologie que Poujus (du latin podium).

2  Il s'agit d'une forme intermédiaire entre BELUSE et AUBUES, située sur la limite linguistique entre les deux types. Nous reviendrons plus en détail sur ce dernier microtoponyme et le lien à faire entre BELUSE et AUBUES.

3  Commune de Laizé, dans le mâconnais.

Visites de terrain

L'enquête de terrain a concerné plus de 60 lieux-dits, du sud de la côte dijonnaise (Les Maranges) au sud de la côte mâconnaise :

Fond de cartes beluses annote 2

Placement des {BELUSE} sur IGN-Géoportail.

Caractères non discriminants

Outre la couleur, qui n'est pas un caractère discriminant, voici les caractères étudiés, dont aucun n'a révélé de corrélation :

  • la pente : les {BELUSE} ne sont jamais escarpés, mais ils peuvent tout autant être à flanc de pente (souvent en vigne dans le mâconnais) que constituer des plateaux.
  • altitude : les {BELUSE} se retrouvent parfois en sommet, parfois en partie basse, le plus souvent à altitude intermédiaire.
  • occupation du sol : prés, céréales, vignes : tout est représenté.

  • la seule corrélation éventuelle, liée au sol, est la présence, dans de nombreux {BELUSE}, de blocs d'épierrage remontés par la charrue. Ces blocs sont repérables dans des zones d"accroche" du soc et en même temps sur les pourtours des parcelles. Nous verrons plus loin que ce caractère est lié à la corrélation principale que nous verrons ci-dessous.

Une corrélation cartographique en côte chalonnaise

Très rapidement est apparue, en passant de la carte topographique à la carte géologique, une corrélation nette en côte chalonnaise : les {BELUSE} se situent en majorité sur la couche géologique du sinémurien (code L3-5 sur la feuille de Montceau-les-Mines), dont voici le report mis en évidence sur fond topographique (IGN-Géoportail) :

L3 5 avec beluse 1

Les étoiles rouges repèrent les différents {BELUSE}.

Les résultats de l'enquête de terrain : chalonnais

Les visites de sites {BELUSE}, entreprises du nord au sud de la côte chalonnaise ont confirmé la présence très générale du calcaire à gryphées du sinémurien, on s'en rendra compte en consultant les photos : 21 sites, du nord au sud (toutes les communes sont en Saône-et-Loire).

Élargissement au mâconnais

Le mâconnais posait problème : si les {BELUSE} se situaient en grande majorité sur calcaire, leur répartition était indépendante de la couche géologique du sinémurien, d'ailleurs plutôt peu présente en mâconnais.

Les visites sur le terrain m'amenèrent à une autre constatation, qui est devenue l'élargissement de la corrélation repérée en chalonnais :

la présence, quasi systématique, de fossiles bien visibles, bien identifiables sur les sites {BELUSE}.

Ceci s'est vérifié également sur quelques sites du chalonnais où les calcaires à gryphées n'étaient pas représentés.

Cliquez ici pour voir les photos.

Afin d'appuyer l'existence d'une corrélation entre géologie et lieux-dits {BELUSE}, je mentionnerai tout particulièrement 3 sites dénommés la Belouse, alignés le long d'une même couche géologique. La visite de terrain a montré que la présence de fossiles sur les 3 sites était due à la présence d'une couche très fossilifère de quelques dizaines de cm d'épaisseur. Cette couche contient des roches qu'on peut qualifier de lumachelles tant elles sont riches en coquilles de bi-valves.

Lumachelle

Ge ol 3 aligne s

A l'occasion d'une nouvelle plantation de vigne, une saignée dans la roche

permet de visualiser la roche fossilifère :

Dalle nacre e

Interprétation et commentaires

1- La corrélation spatiale entre le nom de lieu-dit {BELUSE} et la présence de fossiles me semble suffisante pour proposer comme signification, dans la zone géographique étudiée :    BELUSE = lieu où l'on trouve des fossiles.

Nous verrons ci-dessous que d'autres arguments (historiques, culturels, linguistiques) appuient cette proposition.

2- Cette corrélation peut-elle être fortuite ?

Comme nous le verrons plus loin, selon les zones étudiées, cette corrélation existe ou n'existe pas. Il est évidemment fondamental, dans l'analyse que je fais, de savoir si je "n'enfonce pas des portes ouvertes", c'est à dire si la présence de fossiles est un caractère suffisamment discriminant.

En d'autres termes :

  • n'y a-t-il pas des fossiles bien visibles un peu partout dans le chalonnais et dans le mâconnais ?
  • ou encore : si je m'arrête au hasard au bord d'un chemin, et que je vais dans le champ qui est à côté, est-ce que je ne vais pas trouver des fossiles ?

Attention : quand je parle ici de fossiles, je ne fais pas une distinction de géologue, mais bien une distinction visuelle immédiatement appréhendée par l'individu qui n'y connait rien en géologie, mais qui, en tenant le fossile dans sa main se dit : "c'est une pierre, et en même temps, c'est un animal".

Sur les reliefs des deux côtes, les terrains qui comportent très peu et pas du tout de fossiles sont largement majoritaires : calcaires jaune-ocre du jurassique moyen, grès, une grande partie des calcaires blancs du jurassique supérieur, les alluvions des vallées et colluvions des bas de pente. Croyez-moi sur parole : si on trouvait des fossiles partout en se promenant, il n'y aurait pas autant d'enfants excités à l'idée d'aller récolter des fossiles.

Si on trouvait des ammonites partout, les gens ne feraient pas l'effort de les ramasser et de les mettre en évidence devant chez eux, ou dans une collection pour les plus beaux spécimens.

3- D'autres corrélations sont-elles envisageables ?

Comme je l'ai dit précédemment, je me suis également posé la question d'une autre corrélation, qui apparaissait également : la présence de blocs de calcaire dur remontés par la charrue. Ce caractère a été retrouvé dans une majorité de sites {BELUSE}. Il se trouve qu'une bonne partie des couches fossilifères en côte chalonnaise se présente sous forme de dalles dures, en particulier dans les roches du jurassique inférieur, dont font partie les calcaires à gryphées. Les deux caractères sont donc liés statistiquement. Je ne privilégie pas cette corrélation pour une raison technique : la formation des toponymes date au moins du moyen-âge ; à cette époque, la charrue n'existait pas encore, seule l'araire était utilisée. Elle grattait le sol superficiellement.

4- Tous les Beluse sont-ils concernés par cette corrélation ?

Non. On s'en rendra compte sur la carte ci-dessous, où on distinguera trois zones :

  • zone 1 : présence de lieux-dits {BELUSE} correspondant à 90 % avec le caractère "présence de fossiles".
  • zone 2 : présence de lieux-dits {BELUSE} où le calcaire à gryphées, loin d'être absent, n'est pas majoritaire. Un nombre non négligeable de sites est sur granite.
  • zone 3 : absence totale de lieux-dits {BELUSE}.
Marche marche pas copie

Est-il envisageable que deux significations et deux étymologies différentes se rencontrent sur la région ? Je ne pense pas que cela soit impensable du point de vue linguistique. D'autres étymologies sont possibles, qu'elles soient originelles ou qu'à une période de l'histoire des évolutions aient impliqué que certaines populations ne comprenaient plus le sens ancien d'un terme.

Outre l'étymologie °BETULOSA déjà citée, mais qui ne peux fonctionner que sur terrains non calcaires, l'étymologie °PELOSA du latin pilosa (qui a donné notre actuel "pelouse") est également proposée, notamment par Gérard Taverdet (5). L'hésitation entre le B et le P se retrouve dans les formes Peluse, Paluse aux côtés de Beluse.

Une mention toute particulière doit être faite pour la petite région de Cormatin (vallée de la Grosne).

Située en "coin" entre les côtes chalonnaise et mâconnaise, cette vallée cumule quelques étrangetés linguistiques qui la distingue des hauteurs environnantes :

  • Cormatin, Cortambert, Cortevaix, Cortemblin : quatre toponymes habités en COR— répartis sur ce petit territoire, et aucun sur les hauteurs adjacentes.
  • Nous sommes là en limite nord de l'extension du microtoponyme {CHAMBON}, que les linguistes associent aux méandres de rivières.
  • Au bord de la Grosne, en zone marécageuse, se trouve le lieu-dit Seugne, seule trace dans toute cette zone de ce microtoponyme très courant notamment en Auvergne (Sagne …), désignant les terres marécageuses, les tourbières …
  • Sur la commune de Malay, le lieu-dit Cuchot est plat comme la main. Cet appellatif serait totalement impensable sur les reliefs adjacents : que ce soit en toponymie (Mont-Cuchot…) comme en patois encore très vivant ("un char plein à cuchot"), le "cuchot" est une éminence arrondie (peut-être d'un gaulois °CUCCA).
  • Plus en aval, commune de Sennecey-le-Grand, on relève un Etang des Chailloux, où le sol est totalement exempt de pierrosité de surface. Nous reviendrons plus loin sur le microtoponyme Chailloux pour lequel tout le monde s'accorde à trouver une relation étymologique avec le français "caillou".
  • Le dernier point nous intéressera ici directement : sur la commune de Malay, nous trouvons deux {BELUSE} qui ne possèdent pas le lien précédemment décrit (présence de fossiles) : il s'agit de terres de fond de vallée non pierreuses. D'autre part cette commune porte le lieu-dit Les Obus, seul représentant de la série {AUBUES} dans cette zone.  Nous parlerons plus loin de la série des {AUBUES} ; nous verrons qu'il est légitime de considérer qu'il est le continuateur, plus au nord en Côte d'Or, de la série des {BELUSE}, avec la même signification. Or la visite de terrain montre que le lieu-dit Les Obus est excessivement fossilifère :
Les obus 1
Les obus 2
Les obus 3

Si la présence de fossiles fut dénommée {AUBUES}, il n'est pas illogique que dans le même endroit la dénomination {BELUSE} recouvre une autre signification.

Cela fait beaucoup d'éléments simultanés pour qu'on puisse n'y voir que des coïncidences. Peut-être cette zone est-elle un axe de pénétration linguistique qui a épargné les hauteurs des deux côtes ?

Les ammonites

Il est un élément fossilifère remarquable qui a été encore peu cité dans cette étude : l'ammonite. Tout le jurassique inférieur, et en particulier le sinémurien (calcaires à gryphées) est riche en ammonites.

Il est envisageable que l'appellatif {BELUSE} ait pu correspondre en certains endroits à une terre où a été trouvée une ammonite particulièrement impressionnante. Quelques photos montreront de beaux spécimens récoltés localement dans les calcaires du sinémurien :

Ammonite dans calc a gryphe es
Ammonite madeleine
Ammonites fley 1
Ammonites fley 2

Ammonite dans une dalle

de calcaire à gryphées,

église de Chapaize (71)

Ammonite dans un jardin,

Saules (côte chalonnaise),

à 200 m du lieu-dit Les Belouses

Ammonites dans un jardin,

Fley (côte chalonnaise),

sur le lieu-dit Les Boulouses

idem

Arguments archéologiques

Nous aborderons ici à la question suivante : a-t-on trouvé des preuves archéologiques que nos ancêtres s'intéressaient aux fossiles, au point de leur consacrer une dénomination de lieu-dit ?

1- Celle qui nous intéressera le plus concerne la nécropole mérovingienne de Curtil-sous-Burnand (appelée également de Munot, du nom du hameau), située dans la zone étudiée, au sud de la côte chalonnaise :

  • "De nombreuses sépultures de Curtil, enfin, offraient dans leur remplissage des fossiles (ammonites essentiellement) (…). Le dépôt rituel ne fait pas de doute : nombre exceptionnel (près de 150 dans une tombe !), grande taille (tombe 23) ou disposition particulière (en cercle …)292."

note de bas de page 292 : Autre exemple d'ammonite dans une tombe, à Ennery : DELORT E., "Le cimetière franc d'Ennery", Gallia, t. V, fasc. 2, 1947, p. 358. (7)

  • "À partir de 20 cm de profondeur et jusqu'à 30 cm, nous mettons à jour un grand nombre de fossiles, gryphées et mytilus, ainsi qu'un petit pot en terre grossièrement tourné, brisé, mais facilement reconstituable. L'épaisseur de la couche de fossiles était d'environ 10 cm (…)." (8)
  • "Dans la sépulture n°11, spécialement riche en fossiles, une ammonite de plus de vingt cm de diamètre servait d'appuie-tête à la morte" (9).

Continuons avec l'époque mérovingienne :

Olivier putelat les restes animaux

B- Tombe 79, piquant d'oursin fossile. C- Tombe 318, ammonite pyritisée. (10)

  • autre mention bibliographique, mais je n'ai pas retrouvé l'ouvrage de E. Salin en question :

"Par ailleurs, E. SALIN mentionne diverses nécropoles mérovingiennes en France de l'Est, où furent mis au jour un oursin, "une petite ammonite montée en pendeloque", "des tiges d'encrines enfilées sur un collier".

  • "Robine remarque avoir rencontré de nombreux Helix hortensis dans les sépultures ; "entre 20 à 40 par tombe" écrit-il. Cette remarque ne se trouve pas dans les notes de Carolus-Barré ; par contre, ce dernier mentionne que le défunt du sarcophage 19 avait été inhumé avec un coquillage fossile, un Ceruthium giganteum, placé près de la tête et découvert brisé. "Peut-être est-ce le vestige d'une ancienne croyance" conclut Hémery. Il s'agit, en effet, vraisemblablement, dans un cas comme dans l'autre, d'un dépôt rituel ; la présence de coquillages, notamment de la famille des Helix, sans être une pratique courante, est ainsi signalée en des endroits aussi divers que Lavoye (R. JOFFROY, 1974, p.15), Saint-Denis (E. SALIN, 1957), Mazerny dans les Ardennes (P. PERIN, 1967, n. 50)." (11)
  • Au sujet d'un cimetière mérovingien du Pas-de-Calais :

"Parmi un certain nombre de sépultures du VIIIe ou IXe siècle, où les squelettes avaient été simplement recouverts chacun d'un lit de dalles, sans supports, l'une d'elles, plus importante, affectait par la disposition des pierres, la forme, certainement voulue, d'une croix latine ; or, dans celle-là justement, fut trouvé, sur chacune des cuisses, un moule siliceux fossile de Micraster coranguinum (note de l'auteur : il s'agit d'un oursin fossile) de la craie blanche, tandis que, sur le crâne, était appliquée une grande coquille d'Ostrea edulis, et que, sur les côtés, se remarquait une Cypræa arabica, Porcelaine actuelle, mais des mers chaudes de l'Orient, et dont la trouvaille à cette place est à noter, pour une époque où n'avait pas encore été ouverte la route des Indes par Vasco de Gama !" (12)

2- En ce qui concerne les autres époques, on constatera que l'intérêt de l'homme pour les fossiles, notamment d'ammonites, se révèle dans les fouilles dès le magdalénien (paléolithique), et se poursuit jusqu'au haut moyen âge en passant par la période mégalithique, puis les gaulois.

On trouvera d'intéressantes considérations dans l'ouvrage suivant, disponible sur internet via le portail Persée : GUÉBHARD Adrien. Sur l'antiquité des superstitions attachées aux coquilles fossiles. In: Bulletin de la Société préhistorique de France, tome 4, n°5, 1907. pp. 258-260.

En Bourgogne, au sujet des gaulois : "Le petit temple de la source de la Dea Bibracta, sur le Mont-Beuvray, a livré une ammonite trouée pour être suspendue, le sanctuaire des Fontaines-Salées, des ammonites et des bélemnites offertes en ex-voto. Telles sont aussi les ammonites conservées au musée d'Alesia et découvertes sur le plateau (…)". (9)

3- Je ne m'appesantirai pas sur les mentions considérables de fossiles utilisés en parures au néolithique, car elles étaient faites la plupart du temps à partir d'éléments en coquilles de mollusques, que les animaux aient été contemporains ou fossiles.

Magdalénien :

 

 

Magdale nien 2

Deux se pultures

Me galithique

Gaulois :

Bull soc anthropologie 1

 

(Bulletin de la Société d'Anthropologie, 1880, p.609)

Arguments anthropologiques et culturels

On apprendra beaucoup de choses passionnantes sur les croyances antiques liées aux ammonites fossiles dans "Le génie de Lyon et son culte sous l'empire romain" (9) (disponible sur internet via le portail Persée).

1- Loin de s'opposer aux rituels païens mis en évidence par l'archéologie jusqu'à l'époque mérovingienne, l'imagerie chrétienne va s'approprier et faire perdurer le thème de l'ammonite : le porche de la cathédrale Saint-Jean de Lyon montre ainsi deux étonnantes ammonites sculptées, avec des têtes d'animaux.

Cette tradition a été maintenue tardivement à travers le thème de l'escargot. Voir les photos.

3- Au moyen-âge, à Whitby (Angleterre), les snakestones étaient des ammonites. Ces fossiles étaient particulièrement courants à cet endroit, et ont donné lieu à un commerce d'objets saints. Les ammonites étaient sculptées de manière à faire apparaitre une tête :

Whitby 1(photo extraite de l'ouvrage ci-dessous)

4- À toute époque, et dans toute culture : les croyances autour des fossiles sont innombrables. Eric BUFFETAUT est le spécialiste de ces questions. Il en a fait un ouvrage :

Buffetaut

 

On consultera également avec bonheur un forum consacré au thème "culture populaire et fossiles" :

https://www.geoforum.fr/topic/19610-culture-populaire-et-fossiles/page/8/

J'y ai notamment lu la phrase suivante : "La Saône et Loire, c’est un nid d’ammonites !"

Et puisque nous sommes en Saône et Loire, voici les armes de la commune de Saint-Huruge (sud de la côte chalonnaise) : trois ammonites ! Ce village est situé sur la couche de calcaires à gryphées, en violet sur l'extrait de la carte géologique au 1/50 000, feuille de Montceau-les-Mines.

St huruge 2                               St huruge 1

 

Tous les éléments qui précèdent, historiques ou mythologiques, confèrent au fossile un statut à part :

mi-pierre, mi-animal ; mi-naturel, mi-artefact, il est évidemment perçu comme une manifestation "miraculeuse", surnaturelle.

 

5- Qui dit ammonite dit spirale. La spirale est le symbole des symboles, omniprésent depuis la préhistoire. Cliquez ici.

 

Ces multiples exemples suffiront amplement à admettre que des lieux-dits aient pu à une époque être désignés par un terme dénotant la présence de fossiles.

Arguments linguistiques : vers une nouvelle étymologie ?

Une fois ces arguments avancés, l'étymologie de BELUSE me semble couler de source :

le terme provient du latin tardif  BELUTUS , également orthographié BELLUTUS :

Capture d e cran 2021 02 18 a 21 41 45      Capture d e cran 2021 02 18 a 21 42 41

"Semblable aux bêtes" : quelle belle définition pour le fossile.

 

  • Accessoirement, je me demande s'il ne faut pas voir dans le dialectal  belu  un dérivé de cette même racine.

Très vivant du côté de Grenoble, il signifie : stupide, bête. Il faut peut-être voir un équivalent dans le patois de Saône-et-Loire beurlu, de même sens, le "r" venant éventuellement de la contamination par le terme beurdin, de même sens également. Le patois de Givry (S&L) possède "belot", qui a le même sens.

La relation entre BELUSE et AUBUES

Suivant en cela Gérard Taverdet, j'évoque la possibilité que les {BELUSE} et les {AUBUE} soient deux formes linguistiques différentes d'une même réalité : "il semble que ce terme (NDLA : Beluse) soit le correspondant dans la région de ALBUCA (cf. 'aubue')". ("Lieux-dits de S&L", ouvrage déjà cité).

La forme {AUBUE} se trouve essentiellement en Côte d'Or.

  1. Les zones à {BELUSE} et à {AUBUE} sont quasi exclusives l'une de l'autre. Seule la petite région des Maranges (limite 71-21) possède simultanément les deux formes. J'ai mentionné plus haut un lieu-dit Les Obus dans la région de Cormatin (S&L), donc en pleine zone à {BELUSE}.
  2. Sur la "frontière" {BELUSE} / {AUBUE}, dans la région des Maranges, il existe le lieu-dit Les Lobuses, qu'il est possible d'interpréter comme une forme hybride entre les deux ; ce même lieu-dit est nommé Les Aubus sur une autre feuille cadastrale.

Je consacre un chapitre à un début d'étude du microtoponyme {AUBUE}.

Aubue et beluse

Pistes de travail

L'autre grosse "poche" à {BELUSE} se trouve dans la Nièvre, dans le pays calcaire à l'ouest du Morvan. J'espère pouvoir un jour me déplacer dans cette région pour visiter quelques sites, et vérifier si l'hypothèse "fossiles" reste toujours plausible là-bas également.

Terminons ce chapitre par un clin d'œil :

Ma con les fossiles
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