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Le microtoponyme GOURLE

Le constat

{GOURLE} est un microtoponyme qui n'existe que dans le centre de la Saône-et-Loire, autour de la petite ville médiévale de Saint-Gengoux-le-National. La zone de présence s'étend sur le sud de la côte chalonnaise, la vallée de la Guye, et déborde un peu sur l'ouest du mâconnais :

Gourle fond topo 2

Bon nombre ont disparu : l'IGN en mentionne moins de la moitié. Pour les retrouver, il a fallu systématiser la consultation des feuilles du cadastre napoléonien sur un territoire de plus de 100 km2. Il a fallu également consulter l'ensemble des sources du 18e siècle diponibles sur la zone : plusieurs atlas-terriers, ainsi que le terrier de Joncy ont permis d'en retrouver plusieurs. Je citerai en particulier l'atlas-terrier de Maizeray, pour lequel un travail de fourmi a permis de superposer les différentes cartes avec les supports cartographiques actuels, permettant ainsi de placer précisément les lieux-dits :

Atlas terrier maizeray

Etant donné qu'il s'agit exclusivement d'un microtoponyme (jamais habité), très localisé, il n'a intéressé que les linguistes régionaux.

Gérard TAVERDET ("Lieux-dits de S&L", ouvrage déjà cité) nous dit au sujet des {GOURLE} : "Terme très fréquent qui désigne la souche ; il s'agit donc d'un nom lié aux défrichements ; terme d'origine inconnue, probablement pré-latin."

Taverdet relie {GOURLE} au patois de Saône-et-Loire queurle qui signifie "la souche". Il place donc dans la même famille le toponyme (habité) Les Curles.

Ce lien entre Gourle et queurle ne me satisfait pas :

  • queurle est un terme de patois encore très vivant. Pourquoi, s'il est compris partout et par tous, aurait-il été orthographié systématiquement avec un G ?
  • les {GOURLE} comprennent également les formes à métathèse du type grole. Je n'ai jamais entendu le mot creule pour signifier "souche".

Je me suis donc posé la question de l'existence d'un lien entre milieu naturel et lieux-dits {GOURLE}.

Les graphies retenues

Le nom est très majoritarement au pluriel.

La forme la plus courante est Les Gourles, puis vient La ou Les Gorle(s). Moins courants : La Grosle, Les Grol(l)es, La Groule, Les Groulets.

Report sur carte géologique

Placement gourles sur carte ge ol copie

Il est apparu une corrélation un peu étonnante : les {GOURLE} sont situés :

  1.  d'une part sur les plateaux calcaires en hauteur (calcaires de l'aalénien, du bajocien, du bathonien) qui forment les reliefs de cuesta typiques de la région,
  2.  d'autre part sur les hautes terrasses alluvionnaires de la vallée de la Guye, à l'ouest de la côte calcaire.

Cette dichotomie m'a paru insoluble, car les terrains ont peu de rapport entre eux, jusqu'à ce que je fasse les visites de terrain et que je confirme mes observations par la notice de la carte géologique.

Visites de terrain

La ressemblance entre les divers {GOURLE} visités (hormis ceux en pré, inexploitables, mais ils sont peu nombreux) m'a sauté aux yeux : je constatais quasiment à chaque fois la même formation superficielle :

Il s'agit d'un cailloutis qui n'est pas très courant en côte chalonnaise, dont la description est la suivante :

Cailloux de taille très régulière, environ 5 cm de diamètre, émoussés, en grande majorité NON CALCAIRES, densément répartis en surface :

Gourles du haut sur cruchaud

Ci-dessus, 'Gourle du haut', au-dessus de Cruchaud, commune de Bissey-sous-Cruchaud.

 

À droite, 'la Gourle Guillaume', Maizeray, commune de St Martin-du-Tartre.

Gourle guillaume maizeray

Voir d'autres {GOURLE}. On constatera que ce sont souvent de bonnes terres à céréales.

Explication géologique

Sur plateau calcaire, il n'y a en principe pas de raison de trouver ce genre de cailloutis. L'aspect le plus normal donne ce qui est ailleurs caractérisé par les noms Cras, Creys, etc, c'est à dire des pierres calcaires, anguleuses, moins homogènes en taille, qui sont des cailloux de surface qui proviennent directement de la roche en place.

Cras

Aspect typique d'un {Cras} : lieu-dit 'Les Crais', St Gengoux-le-Nal

 

La lecture de la notice de la carte géologique (Montceau-les-Mines au 1/50 000) va nous renseigner sur la nature de ces cailloutis, et nous expliquer également pourquoi on les retrouve à la fois sur plateaux calcaires et sur les terrasses alluvionnaires de la Guye :

De nature non calcaires, on les trouve parfois comme formations superficielles sur les plateaux, par-dessus les calcaires en place. Ce sont des restes, érodés, de roches plus récentes qui se trouvaient au-dessus. (Pour ceux qui s'intéressent à la géologie, il s'agit de grès, d'arkoses, de chailles …)

En certains endroits, ces formations superficielles des plateaux ont été entrainées par le ravinement des eaux et ont été accumulées en des formations tardives, appelées fluvio-lacustres, à l'emplacement actuel de la vallée de la Guye. Au quaternaire, il y avait donc un lac en cet endroit. Etait-ce en relation avec les grandes glaciations ?

Liens avec d'autres auteurs

Roland Niaux est l'auteur d'un blog qui parle notamment de liens entre archéologie et toponymie (cliquez ici). Je le cite :

Le manse es groliers dans le morvan